Douce nuit | ft. petra petrova

24 décembre 1922

Elle reconnaît les murs de l’hôpital. Il pourrait s’agir des murs de sa maison d’enfance. Les Agwu ont toujours aussi bien vécu chez eux qu’à l’hôpital que leurs ancêtres avaient fondé. Darya y est parvenue à temps. Tout juste. Le plafond des couloirs est parcouru de fumées grises et sinueuses, laissant des traînées de suie semblable à des serpents. L’odeur est reconnaissable : c’est de la sauge. Inutile de compter sur la magie. Mais Darya est là. Elle a réussit à revenir à temps. Elle peut encore les sauver. -Mama ! Iena ! De multiples voix appellent à l’aide, implorent la pitié. Comment déceler les leurs de tout ce vacarme ? Elle est là, mais comment les retrouver ? La lumière change, se pare d’or et d’ambre, comme un coucher de soleil, en pleine nuit. Le feu gagne les murs, brise les fenêtres. -Mama !… Iena !… La voix de Darya se brise. La fumée de sauge lui brûle la gorge. Elle ne réalise que trop tard les symptômes de l’intoxication. Sa tête lui tourne. De tâches noires lui troublent la vue. Elle ne pourra pas les aider. C’est elle qui va avoir besoin d’aide si… Ses jambes refusent de lui obéir. La ligne d’horizon bascule et sa joue heurte le sol. Des bottes martèlent le carrelage. Des coups de feu font taire les cris, un à un. Les non-majs… -Ma...ma… Elle n’y est pas parvenue. Pas à temps. Le canon d’un fusil se tourne vers ses yeux.

Lorsqu’elle se relève en sursaut, la détonation résonne encore dans sa tête. Résonne littéralement. Le son, aussi bien que la sensation de son crâne éclatant en morceaux. Darya, haletante, reprend ses marques. Sa chambre. Moscou. Son lit. Vitali. 1922… Elle n’est jamais arrivée à l’hôpital. N’a appris leur mort que des mois plus tard, en arrivant à Moscou…

Darya pousse un soupir pour calmer le rythme de son cœur encore battant de panique. Sa main récolte une sueur glaciale sur son visage. L’odeur de sauge emplit encore ses narines. Darya sursaute de nouveau. Une odeur de sauge. Et si... Elle s’extirpe des draps pour se précipiter vers la fenêtre dont elle écarte un rideau… Rien. La rue est calme. Vide. Pas un non-maj en vue. En cette nuit de noël, tout le monde dort d’un même sommeil… Enfin, non, plus tout le monde..