we were a show that flopped (artem)

Le manteau blanc de l'hiver qui a habillé les rues de Moscou donne à la ville un semblant de sérénité, de calme apaisé qu'elle n'a pourtant plus arborés depuis de longues semaines, toujours mise à mal par les soubresauts d'un monde en pleine transformation et encore en proie à des hoquets de violence. Attablé à un bureau en bois, une pile de document devant les yeux,  il a l'esprit qui peine à se fixer, et les minutes semblent s'étirer à l'infini, sans jamais parvenir à s'écouler. Il regarde sa montre, un des rares objets rescapé d'un passé fastueux et opulent, pour la troisième fois en moins d'une heure, oubliant complètement qu'à côté de lui, une femme, employée elle aussi de la bibliothèque, lui relate les derniers faits divers lus dans la gazette. Certains mots s'accrochent, malgré tout, au rivage de ses pensées, mais ne s'impriment pas dans la psyché, qu'Artem monopolise encore. Il s'excuse platement auprès de la femme à la chevelure grisonnante et lui offre un maigre sourire contrit, prétextant un achat urgent à faire pour s'échapper des murs tristes et gris de la salle des archives. Jamais une journée ne lui avait semblé s'éterniser à ce point...

Artem. Prénom obsédant de l'amant d'autrefois, son tout, l'autre moitié de lui-même, pour qui il a éprouvé toutes sortes de chose; de la jalousie mordante à la passion la plus dévorante, en passant par l'exaspération désabusée. Il n'est capable de penser à rien d'autre qu'à cette discussion qu'il a entendue sans le vouloir, et qui lui a fait rebrousser chemin avant même d'avoir cherché s'il pouvait y avoir un malentendu quelconque. Artem qu'il a dans la peau depuis leurs plus jeunes années, qu'il a maintes fois perdu et tant de fois retrouvé, dans la moiteur fiévreuse de leurs étreintes passionnées. Le visage à jamais gravé au fond du coeur, malgré les coups du sort et les déceptions, les mensonges et les incompréhensions. Ses pas le guident, sans qu'il l'ait vraiment cherché, vers le lieu où ils devaient se retrouver la veille au soir,  à quelques pas de la boutique d'antiquités, mais à mi-chemin, il s'arrête, incertain de vouloir finir cette course, mais désireux malgré tout d'avoir le coeur net sur ces mots qui lui trottent dans la tête comme une farandole insolente et persifleuse. Au lieu de ça, il tourne à gauche, sur la rue Ilyinka, et s'apprête à entrer dans la librairie Markovnikov dont les rayons, qu'il connait par coeur, ont quelque chose d'étrangement réconfortant.

you broke me first.

--- Now suddenly you're asking for it back, could you tell me, where'd you get the nerve ? yeah, you could say you miss all that we had but I don't really care how bad it hurts when you broke me first, you broke me first. ●●

Find him. La langue claque son palais alors qu’il ordonne à son patronus de retrouver la trace de son rendez-vous manqué. Le corbeau croasse et quitte son refuge sur l’épaule de son sorcier, s’envolant au-dessus des rues moscovites, sa forme spectrale disparaissant dans la lueur grisâtre du crépuscule. D’un seul coup de clé il ferme la porte de sa boutique, un geste inutile, devenu une habitude pour assurer la mascarade, sa cave aux trésors bardée de mille sortilèges pour détourner les badauds et les âmes mal intentionnées. Debout sur le bord du trottoir, une cibiche encore éteinte au bord des lippes, il attend, les questions se bousculant en cascade à l’intérieur de son crâne. La ponctualité est une qualité dont Lev se targue souvent, en particulier pour démontrer à Artem son manque de. Les amis de toujours, ennemis de temps à autre pour mieux se réconcilier, amants sans vraiment l’être depuis les retrouvailles dans la géante slave, n’ont jamais raté un rendez-vous qu’ils s’étaient fixé, même pour se faire mal, même pour se briser le cœur ou les os. Pourtant la veille, l’archiviste n’est pas venu. Artem a attendu. Patiemment d’abord, puis il s’était inquiété et enfin avait confié à son fidèle compagnon diaphane la tâche de le trouver. Le cracmol était chez lui, avec ses enfants, alors - rassuré bien qu’intrigué - le faussaire avait tourné les talons et s’était juré d’obtenir une explication à la première occasion.

Il hausse un sourcil, figé dans son mouvement, le briquet au plus près de la cigarette sans que la flamme dansante ne puisse encore la toucher, alors que le cri de l’oiseau se fait déjà entendre quelque part dans la brume au-dessus de sa tête, à peine quelques minutes après son départ. Artem fait disparaître la cancéreuse dans le fond de sa poche et entreprend de suivre la bête ailée. Ses pas frappent contre la chaussée humide, son long manteau le suit comme une ombre démultipliée alors qu’il s’engage dans une rue puis une autre, l’attention portée à son guide, invisible aux moldus qu’il croise en chemin, parce qu’ils ne font pas attention, parce que l’animal se confond avec les cieux, parce que de la magie - pensent-ils - il ne reste rien. Il l’aperçoit finalement au détour d’une énième allée, sa figure faisant face à la librairie, vision qui arrache un rictus au coin de ses lèvres. Certaines choses ne changent jamais, à certaines choses on n’échappent jamais. - I missed you last night. L’interpelle-t-il tout en s'avançant dans sa direction, reproche et amusement se disputant le ton de sa voix. Il fouille dans le revers de son ulster et capture enfin sa cigarette entre ses dents, arrêté à quelques pas de son éternelle moitié.

@lev bolkonski

@artem grishakov // soundtrack
it's time, run wild and royally cavalier when all is made clear there is nothing else and here we stand, the sweet arresting duality in this race of two -- we're an endless stream of choices, the softest murmur of voices, dark disquiet playing such eerie harmonies...

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Ils sont les enfants d'un drôle de destin, d'un hasard moqueur qui n'a fait qu'une bouchée de ce qu'ils auraient pu être. S'il avait eu plus de courage, s'il avait écouté le coeur dans sa poitrine plutôt que les diktats d'un monde auquel il appartenait sans vraiment lui appartenir. Le regard perdu dans la vitrine de cette petite librairie sans prétention, il parcourt les couvertures de ces livres tout juste publiés, sans vraiment en voir les titres, sans que son esprit ne se fixe sur aucun. Le cuir des reliures luit sous les rayons de ce soleil presque crépusculaire, chacune lançant comme un appel, une invitation, pour partager l'histoire retenue entre ses pages. Enfant, il a toujours été fasciné par les nombreux ouvrages de la bibliothèque familiale, où des rayonnages remplis de merveilles dressaient les portraits de contrées lointaines, ou bien abordaient les thèmes variés de mythologies aussi nombreuses de fascinantes. Souvent, il parcourait, du bout des doigts, les étagères remplies, comme s'il en apprenait les moindres recoins. Cet amour des livres et des mots, l'a toujours poursuivi, comme une ombre, discrète mais omniprésente, sans qu'il ait jamais vraiment exploré la voie qu'il traçait. Comme pour le reste, tant de questions qui étaient restées sans réponses, de possibilités laissées de côté, au profit d'occupations plus nobles ou de fréquentations plus convenables.

- I've missed you last night... Cette voix, il la reconnaîtrait entre mille, et à chaque fois, ce timbre fait trébucher son coeur, bien plus qu'il ne le voudrait à cet instant précis. Artem, l'éternel autre, la moitié qui lui a toujours manqué. Il l'avait voulu ainsi à l'époque, et leurs chemins n'avaient fait que s'entrelacer et se séparer de nouveau, parfois à grands fracas, pour toujours se retrouver, d'une façon ou d'une autre. L'amusement et le reproche dans la voix se disputent la préséance, et il aurait répondu avec une boutade s'il n'y avait pas dans le coin du crâne, l'écho acide des mots qu'il avait surpris en arrivant dans la ruelle menant au repaire de l'héritier des Grishakov. I knew I could count on you... Ça n'avait pas tant été les mots, que la voix, qui lui avaient glacé le sang. Cette voix qui avait lancé cette promesse macabre en prenant le théâtre en otage à peine quelques semaines plus tôt. - That's good to hear... Réplique-t-il en se retournant pour faire face à l'éternelle moitié. Le sourire qui accompagne les propos ne reflète pourtant pas la bonne humeur qui entoure toujours leurs retrouvailles. La démarche hésitante, il s'approche de quelques pas. - but i'm affraid it won't be quite enough... avoue-t-il la mort dans l'âme.

you broke me first.

--- Now suddenly you're asking for it back, could you tell me, where'd you get the nerve ? yeah, you could say you miss all that we had but I don't really care how bad it hurts when you broke me first, you broke me first. ●●

Jamais l’un sans l’autre. L’ombre des gamins qu’ils étaient flotte sans cesse au dessus de leurs carcasses cabossées par le temps et les épreuves. Enfants puis adolescents jusqu’à l’aube de l’âge adulte lorsque tout à basculer et que les âmes miroirs ont préféré se faire mal, qu’ils ont préféré s’arracher le cœur et les os et que cette confiance construite sur l’innocence de l’enfance s’est fracassée contre les éclats tranchants de la réalité, déchirant peaux et consciences, séparant les flammes jumelles en brasiers distincts. Ils ont vécu, chacun de leur côté, une existence qu’ils auraient dû vivre à deux. Deux grands idiots qui ne se sont pas suffisamment battus l’un pour l’autre, qui se mentent même encore aujourd’hui. Parce que c’est plus simple que de s’avouer qu’ils ont gâché ce qui aurait dû être extraordinaire. Ils se contentent de ces petits riens, de ces moments passés dans le silence, les corps mêlés entre tendresse et brutalité, entre ce qui a été et ce qui n’a jamais eu la chance d’exister. Ce qui lui abîme vraiment le palpitant, c’est de se dire qu’il n’a jamais su le retenir, qu’il n’a jamais été capable de trouver les bons mots, lui, le maître des paroles, artisan des beaux discours et gardien des aveux les plus saisissants. Lui qu’on surnomme le voleur de mots, n’a jamais su user de cette malice pour sauver son amour. Parce qu’il aurait du être sincère, abandonner toutes les barrières, parce qu’il aurait fallu être vulnérable, tisser ses confidences avec des vérités. Son regard s’accroche au sien, brillant d’incompréhension, il saisit la déception dans la voix de son autre. Sa mâchoire se tend, mouvement presque imperceptible, il passe une main sur son visage, comme pour s’assurer que son masque de mensonges est toujours là.

Dans la rue déserte, leurs deux figures semblent occuper tout l’espace, le face à face ressemble à un duel, les doutes et les révélations comme munitions, encore bien gardées dans leurs holsters. - You’ve never been one to beat around the bush, Lev. Artem s’est rapproché, il n’a qu’un pas à faire pour pouvoir l’embrasser, pourtant il reste là, le souffle un brin saccadé par l’inévitable. Les opales baissées vers le visage de l’aimé, il l’observe avec une certaine douceur, malgré lui, malgré le grondement qui s’éveille en dedans, la méfiance qui gratte aux abords de sa conscience. He is a good man. L’évidence s’est accrochée au devant de ses pensées. He doesn’t dabble in shades of grey. He will not understand. He is good. And you are going to lose him. - Talk to me.

@lev bolkonski